Que ce soit à pas menus ou à grandes enjambées, il vous est sûrement arrivé de soulever une minuscule nuée blanche en marchant dans l’herbe, celle de votre pelouse ou celle, plus sauvage, d’une friche livrée joyeusement à elle-même. A chaque envolée, ma curiosité était piquée au vif.
Il me plut alors de chercher à connaître cet insecte que j’avais bien involontairement dérangé pendant son repos, voire pendant son sommeil. La quête de ce poids plume dans l’immensité de l’herbe s’avéra exaltante.
Elle peut mettre à l’épreuve plusieurs zones réactives et personnelles tout en provoquant malgré soi une agitation perturbante pour ce petit bout de vie qui a élu domicile justement là où le danger d’être écrasé était le plus risqué. Faire figure d’importune n’est pas un rôle agréable au premier abord, ce d’autant que bousculer un papillon n’est pas dans mes habitudes… Me voilà donc navrée et intriguée.
Qui pouvait bien se cacher ainsi dans l’herbe ? Pourquoi choisissait-il ce tapis à basse altitude alors que les massifs tout à côté, érigés comme des gratte-ciel, proposaient un choix varié et protégé de tiges fines et délicates ? Etait-ce pour me narguer de sa capacité à voleter malgré la menace massive de mes pas ?
Ou tout simplement pour que je le regarde, que je lui offre un peu de mon temps et de mon attention ? Voulait-il jouer à cache-cache, sachant que, pour moi, c’était perdu d’avance ? Allez savoir ce qui se passe dans la tête de ce petit magicien ! Toujours est-il que je me suis prise au jeu !
Toute affaire cessante, dès je percevais sa présence, je partais à la conquête de cet inconnu dans le jardin. Bien sûr, s’armer de patience et de persévérance est vivement recommandé tant ce défi ressemble en tout et pour tout à chercher une aiguille dans une botte de foin !
Faire chou blanc est fréquent pour ce type d’aventure. Cependant, comme partout, le facteur chance n’est pas négligeable et revêt ici toute son importance. Une lumière rasante peut aider à ne pas éblouir notre regard juste au moment où il choisit sa cachette. Par ailleurs, notre bougre peut se montrer coopératif et nous faciliter la tâche en se posant par miracle sur le brin d’herbe le plus élevé.
Comme il est surtout actif la nuit, on peut apprécier que cet état de somnolence au cours de la journée contribue à améliorer la séance de repérage. Une fois localisé, il vaut mieux carrément se mettre à plat ventre et tenter de se faire le plus discret possible…
La sagesse est d’attendre quelques instants pour qu’il reprenne le cours de sa sieste dans son hamac tissé de graminées. Il ne reste plus qu’à espérer de ne pas attraper de crampes juste au moment où le Crambus des jardins (ainsi se nomme-t-il) va nous dévoiler ses allures de Merlin, ses ailes parfaitement repliées, le drapé duveteux de sa robe à rayures, ses yeux d’un bleu pâlot, ses fines et longues antennes.
Le confort peut varier d’un règne à l’autre puisque que lui, préfère vivre le plus souvent la tête en bas. La famille des Crambidae compte quelques 300 membres en Europe et il n’est pas rare de croiser ici ou là des cousins proches ou éloignés.
En observant cette parentèle, on peut alors se trouver nez à nez avec certains qui se prennent pour des cardinaux ou même le pape, tant qu’à faire…
Prendre le temps de surprendre sa pensée en imaginant une réalité inversée et de voir les pontes du Vatican se transformer en papillons, et pas des moindres puisqu’ils se classent parmi les plus petits, presque des mites en somme, lesquels vous regardent à présent du haut de leur chaire en pissenlit, prêts à clamer leur sermon… qui se résume finalement en peu de mots : arrêtez vos tondeuses et laissez-nous tranquilles.
© sylvie blanc – l’envol des jours 2013
J’aime…
Agnès, tu m’en vois ravie !
J’ai vécu un enchantement sous ces petits battements d’ailes ! Merci Sylvie. Quelle belle rencontre !
Tant mieux Michèle ! je t’imagine bien en train de les guetter (même dans les pelouses parisiennes) dès juin prochain… à pas menus !
Whoua !!!Impressionnant… Quand je vois comme il est difficile de les prendre en photo…Et la dernière image on se croirait dans un film d’animation ou de science fiction… Tu lui as parlé à celui là… Bravo vraiment et ce texte qui nous donne tellement envie de prendre le temps et d’en prendre soin… Et d’arrêter les tondeuses, je suis bien d’accord…
C’est vrai qu’il vaut mieux retenir son souffle avant de déclencher… et son rire aussi (cf la dernière photo, je n’en croyais pas mes yeux quand j’ai vu cette scène dans le viseur !). Et pour te répondre, Christine, quant à un dialogue : oui, en quelque sorte, l’immersion dans la nature, en particulier dans une friche, nous invite à écouter et nous surprend en train de répondre !
A chaque fois c’est très agréable et surprenant, ces petits spectacles auxquels tu nous invites, au fil de l’eau, au fil des herbes…Aujourd’hui c’est un drôle de petit personnage plein d’espièglerie que je me promets de regarder de plus près au retour des beaux jours.
Merci Sylvie pour ces lucarnes réjouissantes sur les mystérieuses beautés de la nature.
Continue de nous émerveiller, c’est très beau!
Oh oui, Christiane, la nature est remplie de trésors et de surprises ! Cela me touche que tu apprécies mes transcriptions. Je me réjouis d’avoir bientôt des nouvelles de ton jardin via ce petit magicien et de vous révéler d’autres découvertes prochainement…
bravo Sylvie quelle patience! cela m’a fait penser au beau film « microcosmos le peuple de l’herbe »
Merci Anne pour votre visite, oui, la vie minuscule juste à nos pieds est passionnante !
J’ai un immense respect pour ce petit acrobate qui s’apparente aux gens du cirque. Tantôt travail au sol, tantôt au trapèze sans filet, tantôt descente rapide sur un mât.
C’est promis Sylvie, jamais je te demanderai de tondre la pelouse!
Ah le cirque, Gigi, je n’y avais pas pensé et comme tu as raison ! le spectacle est tout près de nous, souvent à notre insu, et c’est ce qui m’intéresse de découvrir et de partager ici…